« Lorsque nous stigmatisons les personnes ayant un problème d’addiction, nous prolongeons leur détresse » – entretien avec Ueli Mäder

À l’occasion de la conférence des parties prenantes de la Stratégie nationale Addictions, le sociologue Ueli Mäder aborde le problème de la stigmatisation. Selon lui, la prévention des addictions doit toujours dépasser le simple travail avec la personne et prendre en compte l’environnement social.

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Cela fait plusieurs années que vous menez des recherches sur les inégalités, le pouvoir et la pauvreté. Quels messages souhaitez-vous transmettre lors de la conférence des parties prenantes Addictions ?

Ueli Mäder : Mon point de vue est celui du sociologue. En matière d’addiction, l’environnement joue toujours un rôle important, que ce soit dans le cas de l’addiction à l’alcool, au pouvoir ou à la reconnaissance. Ce qui m’intéresse, c’est la dynamique entre les individus, les proches et la société. Le résultat est-il positif ou négatif ? Quelles sont les motivations qui poussent les personnes concernées à s’en sortir ? Et qu’est-ce qui les stigmatise, elles et les autres personnes touchées ?

Bien souvent, l’addiction est encore stigmatisée car perçue comme une faiblesse de caractère dont la personne est elle-même responsable. Comment se fait-il que nous n’arrivions pas à nous défaire de cette idée ?

Nous vivons dans une société hautement individualisée. Ce constat s’applique aussi aux personnes socialement défavorisées, sur qui pèsent de nombreuses charges, y compris certaines qui sont principalement imputables à la société. Par exemple, au lieu de problématiser la question des faibles revenus, une vendeuse - qui travaille beaucoup et gagne peu - m’a dit que sa situation était de sa faute et qu’elle aurait dû mieux travailler à l’école. À l’inverse, les personnes privilégiées s’auto-congratulent, estimant avoir généré par elles-mêmes des capitaux importants.

Que signifie la stigmatisation pour les personnes concernées et leurs proches ?

Toute personne se sentant stigmatisée éprouve une certaine dévalorisation, ce qui renforce le sentiment de honte et suscite également de la colère. Parfois, les proches la pointent du doigt pour se distancier et se dédouaner. Mais la plupart du temps, ils éprouvent de la compassion et ont mauvaise conscience.

Comment les professionnels doivent-ils gérer les problèmes de stigmatisation?

Les spécialistes doivent réduire cette charge qui pèse sur les personnes concernées, en leur rappelant par exemple qu’elles sont loin d’être les seules à être confrontées à ce genre de problèmes. Cette démarche aide les personnes stigmatisées à moins se culpabiliser.

Comment les professionnels peuvent-ils éviter de tomber dans le piège de la stigmatisation ?

Les professionnels sont eux-mêmes des enfants de leur époque. L’auto-réflexion et la supervision sont donc importantes. Nous courons tous le risque de nous sentir secrètement au-dessus des autres, ce qui peut être dangereux et contre-productif. Il est donc d’autant plus important de disposer de correctifs critiques qui nous indiquent les comportements de pouvoir que nous adoptons et la manière dont nous procédons à des catégorisations discriminatoires.

Les personnes disposant de peu de ressources sont plus exposées au risque d’addiction que celles qui ont une bonne situation. Pourquoi ?

Oui, il existe une corrélation simple : plus les revenus sont bas, plus les problèmes de santé sont importants. La disposition à compenser les manques ressentis s’en trouve renforcée. Mais attention : les personnes privilégiées peuvent souvent mieux cacher leurs handicaps et leurs addictions.

Qu’est-ce que cela implique pour la prévention des addictions ?

En plus du travail avec la personne, il faut toujours prendre en compte l’environnement social, à savoir notamment la manière dont les évolutions sociales orientent nos modes de vie de plus en plus vers la commercialisation et la rentabilité. C’est ainsi que se renforcent les dépendances et les dispositions relatives aux addictions.

Quelles pourraient être selon vous les mesures à prendre aux niveaux social et politique pour lutter contre la stigmatisation des personnes présentant une addiction ?

Nous devons observer dans quelle mesure le lieu de naissance est le fruit du hasard. Certaines personnes ont plus de chance que d’autres. Cette simple prise de conscience peut contribuer à promouvoir davantage l’équilibre social. À mon avis, il y a urgence. De plus, lorsque nous stigmatisons les personnes ayant des problèmes d’addiction, nous prolongeons leur détresse. Résultat : cela augmente les coûts pour la société, mais aussi, et surtout, la détresse des enfants et des autres proches concernés.

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