« Les canaux numériques abaissent le seuil d’accès aux consultations » – entretien avec un conseiller en addictions

La consultation en ligne gagne en importance dans le domaine des addictions. Pour répondre à la demande croissante, le blended counseling – une approche mixte associant entretiens en ligne et en présentiel – s’avère être une méthode efficace. Martin Lobsiger, conseiller en addictions, nous expose les avantages de cette démarche au travers de son expérience pratique. Il souhaite que les canaux numériques soient reconnus par les professionnels au même titre que les consultations en face à face.

Détails de l'article

Monsieur Lobsiger, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le blended counseling ?

Martin Lobsiger : Ce terme vient de l’anglais et signifie « consultation mixte ». La Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse (FHNW) a étudié de près cette forme de consultation et elle l’a définie en ces termes : « Le blended counseling consiste à associer de manière systématique, conceptuellement fondée et adaptée, divers canaux de communication numériques et analogiques dans le cadre des consultations. » C’est également la définition que nous utilisons. La communication s’effectue donc par le biais de plusieurs canaux. Le choix de ces derniers n’est pas laissé au hasard ; il est le fruit d’une réflexion professionnelle et conceptuelle.

Pouvez-vous développer ?

Il faut se demander dans quelles circonstances utiliser tel ou tel canal et définir le moment adéquat et la meilleure manière de changer de canal. La FHNW s’est penchée sur cette question dans le cadre de différents projets, notamment « Beramix – Beratungsmix » et « Face to Face und mehr ». Les résultats de ces études sont disponibles sur le site www.blended-counseling.ch (uniquement en allemand), qui rassemble une foule d’informations passionnantes sur le sujet.

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Martin Lobsiger travaille chez Santé bernoise et est directeur régional du domaine Consultation et Thérapie du centre de Berne-Mittelland.

La consultation en ligne est-elle bien représentée dans les offres de Santé bernoise ?

Chez Santé bernoise, nous nous intéressons à la numérisation et aux canaux de consultation alternatifs depuis 12 ans. La première étape a été franchie en 2010, lorsque le directeur de l’époque, Bruno Erni, a suggéré de créer une plateforme de consultation en ligne. C’est ainsi que safezone.ch est née peu après ; aujourd’hui, elle est devenue la plateforme numérique de référence dans le domaine de la consultation en matière d’addictions.
En 2015, Santé bernoise a lancé l’application MyDrinkControl, un outil d’autogestion permettant de surveiller sa consommation d’alcool. Nous proposons également un outil de messagerie sur notre site Internet depuis 2017 et l’application NoA-Coach depuis 2020. Les personnes désireuses de consulter disposent ainsi d’autres canaux que le téléphone et le courrier électronique pour entrer en contact avec nous.

La confidentialité est un élément essentiel des consultations – est-elle garantie sur les canaux en ligne ?

Nous accordons la plus haute importance au respect de la protection des données. Le cryptage des courriers électroniques constitue un point clé pour assurer la confidentialité : un courriel envoyé avec Outlook a le même statut de sécurité qu’une carte postale – tout le monde peut le lire sans autorisation. C’est pourquoi les processus de consultation ne peuvent avoir recours aux courriels non cryptés que de manière extrêmement limitée, à la rigueur pour la prise de rendez-vous.
En collaboration avec la FHNW, nous avons étudié les aspects de sécurité suivants : quelles messageries sécurisées répondent aux exigences de protection des données ? Quels sont les systèmes de cryptage des courriels existants ? Quelles sont les applications qui pourraient être utilisées ?

Aujourd’hui, vous proposez des consultations en ligne sécurisées.

Depuis 2020, SafeZone nous permet de communiquer avec les personnes sollicitant un conseil en toute sécurité et en protégeant leurs données. Santé bernoise, en sa qualité de centre de traitement des addictions, a loué des salles de consultation en ligne chez SafeZone – les deux sites communiquent directement sur le serveur. Grâce à la technologie de sécurité employée, nous sommes en mesure de proposer des consultations en ligne sécurisées sur notre propre site Internet. Les personnes sollicitant un conseil ne remarquent pas nécessairement que ce canal de communication passe par SafeZone, et l’interface est très intuitive, tant pour les conseillers que pour les usagers.

Depuis 2020, Santé bernoise dispose d’un instrument supplémentaire pour la consultation mixte : NoA-Coach.

Il s’agit d’une application pour les téléphones portables, consacrée pour l’instant exclusivement à la consommation d’alcool. C’est, d’une part, un outil d’autogestion comprenant un journal de consommation qui permet d’observer sa propre consommation et de définir ses propres objectifs. D’autre part, l’application offre également un canal de communication crypté avec un conseiller ou une conseillère de référence de Santé bernoise. NoA-Coach comble ainsi la lacune qui existait jusqu’à présent entre un outil d’autogestion et une offre de consultation.

Même si Santé bernoise mise depuis longtemps sur la consultation numérique, la pandémie a-t-elle changé la donne ?

La période de la pandémie a accéléré les choses. Ainsi, nous avons progressé extrêmement rapidement dans le domaine de la consultation vidéo. Aujourd’hui, les consultations en visioconférence font partie de notre offre fixe : nous les utilisons régulièrement. Au cours des deux dernières années, le recours aux canaux en ligne s’est imposé tant chez les professionnels que chez les particuliers.

Quel est selon vous le plus grand avantage de la consultation mixte ?

Elle renforce le caractère obligatoire du contact. Elle donne également la possibilité de communiquer entre les rendez-vous en face à face. Les bénéficiaires peuvent m’écrire si une soirée devient difficile – par exemple, s’ils consomment plus que prévu. Le contact devient donc plus étroit et plus significatif, l’objectif étant d’éviter les interruptions de consultation.

Les canaux numériques offrent également plus de flexibilité…

Les canaux numériques nous permettent bien sûr d’atteindre davantage de personnes, notamment celles qui n’ont pas la possibilité de venir à un entretien pendant les heures de bureau ordinaires. Nous vivons dans une société très mobile, avec des réalités de vie différentes. Grâce aux canaux numériques, nous pouvons également offrir un soutien aux personnes qui vivent à l’étranger ou qui travaillent actuellement sur un projet très prenant par exemple. Les canaux numériques sont moins dépendants d’un emplacement ou d’un horaire. Dans le domaine des conseils en matière d’addictions et du traitement des addictions, les canaux numériques ont un énorme potentiel : ils abaissent le seuil d’accès aux consultations.

Car les thèmes de l’addiction et de la consommation sont souvent liés à une certaine honte ?

Oui. Sur les canaux en ligne, je peux justement solliciter un conseil sans dévoiler mon identité. On peut sans problème mentir sur son âge, son sexe et son nom. Je peux donc échanger de manière totalement anonyme sur mon problème, ce qui dissipe les appréhensions pour en discuter.

Toutefois, les canaux numériques ne sont-ils pas simplement un complément à la consultation en personne ?

Non. Il existe des processus de consultation exclusivement en ligne. SafeZone a fait ses preuves dans ce domaine. Une consultation en ligne peut donner lieu à des consultations en personne et vice-versa. Il existe de très nombreuses possibilités de combinaison et d’adaptation à la situation personnelle de chaque patient. Les professionnels doivent se défaire de l’idée qu’une consultation professionnelle a forcément lieu en personne. Les canaux en ligne ne doivent pas uniquement constituer une option d’urgence, dans le cas où un entretien ne peut pas avoir lieu, mais représenter des canaux de même valeur avec leurs propres avantages et inconvénients. J’ai moi-même dû parcourir ce processus d’apprentissage.

Pourquoi est-il si difficile de changer les mentalités ?

Pour nous les conseillers, l’entretien en présentiel est très intéressant, car l’habitus des personnes permet de tirer des conclusions : on se voit, on s’entend et on se sent. On peut observer les mimiques, la gestuelle et la posture corporelle. Ce n’est pas le cas au téléphone ou par écrit. Nous devons apprendre à appréhender chaque canal comme un canal complémentaire qui a ses propres limites. Il faut reconnaître les canaux en ligne comme ayant une valeur identique, et pas seulement comme simple « garniture ». La consultation mixte ne convient toutefois pas à tout le monde. Comme par le passé, environ 80 % de nos entretiens ont lieu en présentiel, mais une personne sur cinq profite d’une offre de consultation mixte.

La consultation mixte comporte-t-elle aussi des inconvénients ?

Il est évident que les professionnels et les personnes sollicitant un conseil doivent maîtriser les canaux numériques. Il faut que les deux parties soient ouvertes à essayer de nouvelles choses. Penser que seuls les entretiens en face à face mènent à la réussite ne permet d’atteindre que peu d’objectifs si une consultation mixte est mise en place. Si quelqu’un n’est, par exemple, pas convaincu par notre NoA-Coach, il vaut mieux ne pas le lui proposer. Cela n’apporterait rien. Pour travailler avec les canaux numériques, il faudrait aussi être convaincu par leurs avantages et leur potentiel.

Les conseillers doivent-ils se former s’ils offrent de la consultation mixte ?

Des réponses écrites exigent effectivement d’autres aptitudes qu’un entretien en personne. Beaucoup sous-estiment la communication écrite ; la rédaction d’une réponse peut être très exigeante. Il existe toutefois des techniques, certains procédés et des outils qui facilitent le travail. Des connaissances techniques sont par ailleurs nécessaires. Il faut être prêt à les acquérir.
Dans notre équipe, toutes les personnes qui travaillent avec SafeZone ont suivi un programme de mentorat, ce qui s’est avéré très utile.

Dans quels autres domaines serait-il judicieux de proposer la consultation mixte selon vous ?

Cette approche aurait probablement un grand potentiel dans le travail avec les jeunes. Ils vont partout avec leur téléphone portable. L’accès simple et l’adaptation au cadre de vie sont très importants dans ce domaine. Les espaces numériques sont pour les adolescents et les jeunes adultes aussi réels que le bureau dans lequel je suis actuellement assis. Je trouve donc important de mettre à disposition de l’aide non seulement dans des espaces semblables à celui-ci, mais aussi dans des espaces numériques. Dans quelques années, la consultation mixte deviendra sûrement intéressante dans notre travail avec les personnes plus âgées. Celles-ci sont de plus en plus familières avec les canaux numériques. Les personnes atteintes d’un handicap physique peuvent déjà aujourd’hui profiter d’offres numériques. La santé psychique recèle aussi un très grand potentiel. Je pense par exemple à une personne ayant des troubles de l’anxiété, qui ne peut pas sortir de chez elle. Dans le domaine de l’autogestion, des outils comme NoA-Coach peuvent se révéler très utiles, aussi pour d’autres thématiques de consommation.

Que recommanderiez-vous aux autres institutions sur la base de votre expérience ?

Si une organisation veut miser davantage sur la consultation mixte, il faut un engagement clair à tous les niveaux. Parmi les collaborateurs spécialisés, il y a sûrement des personnes qui s’enthousiasmeraient pour cette méthode ; ils doivent donc pouvoir disposer des ressources et du temps nécessaires pour l’essayer, ainsi que du soutien de leur direction.
Dans un premier temps, il est pertinent de contacter des services qui proposent déjà une offre de consultation mixte. Les exemples de bonnes pratiques peuvent nous en apprendre beaucoup : quels outils sont pertinents et respectent les prescriptions en matière de protection des données ? Comment répondre aux besoins des groupes cibles ? Lorsqu’un premier outil adapté est sélectionné et que l’on commence à l’utiliser, la première partie du travail est déjà faite.

Le champ d’activité de la Fondation Santé bernoise comprend la promotion de la santé, la prévention, l’éducation sexuelle ainsi que la consultation et la thérapie en matière d’addictions (sur mandat du canton de Berne). Tél 0800 070 070, www.bernergesundheit.ch, info@beges.ch

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